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«J’ai dit à ma mère que ma passion, c’était les couteaux»

La transmission d’un savoir-faire dans un métier d’art donne parfois lieu à des rencontres prodigieuses. Éclairage sur deux caractères affûtés.

À 13 ans, Ugo Mighali est un ado incontrôlable. Il s’entraîne au skate parc en marge de ses journées avec «des gars un peu punks» et observe le soir les lames qu’ils tentent maladroitement de forger. À son tour, il s’essaye à l’ouvrage et se brûle de passion pour le geste. Cherchant qui pourrait bien l’initier à cet art, Ugo tape «coutellerie Genève» sur internet et découvre, fasciné, le travail de Charles Roulin. Il n’en faut pas plus pour aiguiser sa curiosité.

«J’ai annoncé à ma mère que ma passion, c’était les couteaux et que je voulais en faire mon métier. Elle a dû penser que peut-être, en m’occupant à quelque chose qui me plaisait vraiment, j’allais revenir sur le droit chemin.»

La lame à l’œil

«Sa maman m’a appelé un jour, m’expliquant que son fils scrutait mon site internet avec grande attention. Il était insolent envers ses profs, se rebellait contre toute forme d’autorité. Elle semblait désemparée, se souvient Charles Roulin. Elle m’a demandé si j’étais d’accord de le prendre un peu avec moi. Il me rappelait mes propres enfants, leur révolte. Moi-même, j’ai toujours été un révolté, j’ai envoyé promener l’armée. Je me retrouvais en ce gamin.»

Le coutelier d’art accepte à une condition: Ugo doit d’abord remonter ses notes à l’école et améliorer son comportement. Et le chantage fonctionne.

Le bon Dieu

Deux semaines plus tard, la mère le rappelle. «Elle m’a dit: Mais vous êtes le bon Dieu? Il m’aide même à faire la vaisselle!»

Ugo gagne l’accès à l’atelier du maître qui le prend sous son aile et, presque tous les jours, le met à l’établi. «J’ai compris très vite que le môme était doué, se rappelle l’artisan. Je lui ai montré comment on façonne une émouture (le tranchant de la lame) et à la fin d’une seule journée, il en réalisait déjà de tout à fait valables. À titre de comparaison, à l’époque de mon grand atelier à Plan-les Ouates, j’ai accueilli des gars qui étaient incapables d’en faire une correcte après un mois.»

Après deux ans de transmission intensive, et sur les conseils avisés de son mentor, Ugo se lance dans un apprentissage de bijoutier-joaillier au Centre de formation professionnelle (CFP) Arts à Genève. «Je l’ai vivement encouragé à obtenir un CFC. Car avant de vivre de l’art du couteau, il faut un travail stable, investir dans du matériel, se faire un nom», insiste l’artiste.

Presque voyou

Aujourd’hui, Ugo, âgé de 20 ans, affûte son savoir-faire en parachevant un deuxième CFC de bijoutier sertisseur dans une petite entreprise. Car pour «se faire un nom» dans le domaine de la coutellerie d’art, il doit d’abord insuffler à ses réalisations une identité propre.

Comme son maître, il veut sculpter dans les lames, mais en y ajoutant ses connaissances en bijouterie et sertissage. «L’idée n’est pas de faire du plagiat, du faux Roulin, tranche le mentor. Quand on verra une de ses pièces, il faudra qu’on s’exclame «Ah ça, c’est un Ugo!»

Lorsque le jeune professionnel aura plusieurs couteaux à son arc, il arpentera le monde en participant à des shows de couteliers, comme Charles Roulin, 87 ans, débordé par les commandes et toujours en vadrouille.

L’ancien et le jeune échangent un regard complice qui en dit long sur le chemin parcouru ensemble. «Je serais peut-être devenu un voyou si je ne t’avais pas rencontré», concède le disciple à son maître.

Ils seront visibles en tandem lors des Journées européennes des métiers d’art au Pavillon Sicli à Genève (lire ci-dessous).

www.coutelier-roulin.art/

Le coutelier aux doigts d’or

Dans un reportage de l’émission «Passe-moi les jumelles» de la RTS du 11 novembre 2017, on découvre le travail délicat et sauvage de Charles Roulin et son protégé Ugo Mighali à l’âge de 13 ans. À voir absolument pour comprendre encore mieux le lien indéfectible qui les unit. 

JEMA: le programme

Les Journées européennes des métiers d’art se dérouleront du 22 au 24 mars 2024 dans les cantons de Genève, de Vaud, du Tessin, du Jura et de Berne.

Une occasion unique de promouvoir des savoir-faire ancestraux au travers de démonstrations, d’échanges et de conférences afin d’émerveiller le grand public et peut-être de susciter des vocations.

À Genève, le Pavillon Sicli sera le centre névralgique de la manifestation, avec une trentaine de stands animés par des artisanes et des artisans. Initiations, visites d’ateliers, de centres de formation professionnelle et pléthore d’autres activités sont proposées dans tous les cantons.

Toutes les manifestations sont gratuites. Informations pratiques, programme complet et inscriptions sur: www.metiersdart.ch

SISP/IMI/14.3.2024

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